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Des mots niak'
6 août 2013

L'immeuble factice que la RATP voudrait garder fantôme

Derrière la façade du n°145 de la rue La Fayette, à Paris, se cache... du vide. Un néant dont la régie de transports parisiens, à qui l'immeuble appartient, ne se vante pas

 

Rien. Rien sur lui dans la brochure « Le métro secret » éditée par la RATP. Manifestement, l'entreprise des transports parisiens cherche à le garder secret. Pour de vrai. Préférant communiquer sur les stations Haxo et Porte Molitor, jamais ouvertes. Les stations Arsenal, Croix Rouge, Champ de Mars ou Saint Martin, fermées pour toujours.

Mais le 145 de la rue La Fayette, lui, ne mérite visiblement pas qu'on parle de lui. En pleine ère Duflot, les logements vacants sont priés de rester discrets. Les riverains sont priés de ne rien remarquer. Hélas, en août dernier, Denis a eu la mauvaise idée de publier sur son blog (« Mon chat aime la photo ») un article sur cet immeuble factice. Le coup du trompe l’œil, on ne le fait pas à ce photographe, amateur mais pas stupide pour autant. Perturbé par la saleté du bâtiment, il a mené sa petite enquête. Pour découvrir qu'il s'agissait en fait... d'une bouche d'aération pour le RER B. Suite à cette « révélation », tous les journaux parisiens se sont alors fendu d'un papier sur l'adresse mystérieuse. Denis, pourtant, n'a rien d'un pionnier. Umberto Eco écrivait déjà en 1988 dans Le Pendule de Foucault qu'il s'agit « d'une fausse maison. C’est une façade, une enveloppe sans toit, sans rien à l’intérieur. Vide. Ce n’est que l’orifice d’une cheminée. Elle sert à l’aération ou à évacuer les émanations du RER. Et quand vous le comprenez, vous avez l’impression d’être devant la gueule des Enfers; et que seulement si vous pouviez pénétrer dans ces murs, vous auriez accès au Paris souterrain. »

 

Un immeuble (presque) commun

A première vue, le passant ne verra donc là qu'un immeuble haussmannien. Un de plus. Avec ses cinq étages. Ses quelques moulures en pierre de taille. Son unique balcon en fer forgé. Peut-être sera-t-il troublé par l'absence de digicode. Ou peut-être pas. Peut-être sera-t-il étonné par la porte, démunie de poignée, réparée maladroitement. Par les traces d'un panonceau anciennement cloué au milieu. Ou peut-être pas. Peut-être encore sera-t-il surpris de voir des fenêtres ouvertes en permanence au troisième étage. A l'instar de Jean-Marc, patient du médecin généraliste Fayeux, dont la salle d'attente donne sur l'immeuble fantôme de la rue La Fayette. « Je voyais cet immeuble désaffecté alors j'ai contacté le collectif Jeudi Noir. Je me suis dit qu'ils pouvaient le réquisitionner comme ils l'ont fait avec un immeuble de la BNP. Ils m'ont répondu qu'ils y avaient pensé mais que c'était invivable. Que les squats étaient impossibles en raison des risques sanitaires. » Jean-Marc regrette qu'un tel espace de vie soit perdu. Gâché. Que l'immeuble fasse tâche au milieu des autres, engagés, pour le coup, dans une entreprise de floraison des balcons. « Ils pourraient au moins faire un ravalement de façade. Je doute que la RATP manque réellement de moyens. »

Les fissures qui se multiplient sur le fronton crasseux, les fenêtres devenues opaques au fil du temps, le toit manquant donneront au passant - décidément très curieux - l'impression qu'un incendie a sévi des années auparavant. Quant aux plafonds, il prendra rapidement conscience qu'ils n'existent pas. Remplacés par des grilles.

Il se contentera naturellement de ces observations. Des informations supplémentaires, personne ne lui en donnera. Car chose surprenante, les divers articles de presse parus semblent avoir plus que jamais verrouillé le bâtiment 145 de la rue La Fayette.

 

« Enjeu urbanistique »

La RATP a accordé son dernier aveu au journal 20 minutes, avant de se murer dans le silence : « Lorsque nous avons installé les lignes de RER dans Paris avec leur ventilation, dans les années 80, c’était un véritable enjeu urbanistique de respecter l’architecture de la rue. C’est pourquoi nous avons conservé la façade ».

Au service communication, au service presse, et même à la direction, personne ne répond par la suite. Seule une archiviste à la médiathèque de la structure paraît être au courant. Bien que peu désireuse d'en parler. Dommage quand on sait que le cas n'est pas isolé. La rue du Faubourg Saint-Denis et la rue Aboukir ont également leur immeuble fantôme. La palme de la meilleure optimisation de l'espace revenant au n°3 de la rue de l'Aqueduc, dont seul le premier étage est dédié à l'aération du RER. Les autres niveaux ? Occupés par des habitants.

Mais toutes ces anecdotes patrimoniales doivent tant que possible rester secrètes.
Et pour cause, les journées du Patrimoine n'ont lieu qu'en septembre.

 

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