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Des mots niak'
18 octobre 2010

Nous autres (My)

"Zamiatine" ne vous dit rien? C'est normal ... bien qu'injuste.

Les noms de "dystopie", "contre-utopie" ou "anti-utopie" vous sont surement plus familiers. Lorsqu'à l'aube du XXème siècle la foi en la science disparaît, qu'elle devient dans les esprits aliénante, source d'asservissement, l'utopie des humanistes se mute en une contre-utopie. Totalitarisme, science et contrôle, eugénisme, uniformité, homme nouveau, déclin de la culture : le bilan est plutôt négatif.

En découlent des oeuvres cultes : 1984, bien sûr, Le meilleur des mondes, mais aussi Soleil vert, Brazil, Equilibrium, Bienvenue à Gattaca (et j'en passe), toujours reflets d'une inquiétude actuelle. On se projette dans le futur pour mieux avertir dans le présent, pour parer tant que possible toute éventuelle dérive du système. Bien souvent, la contre-utopie s'apparente en effet à une utopie qui dégénère, ou plutôt qui se révèle être tout, sauf parfaite.

Revenons en à notre ami Zamiatine. Lui, c'est le grand inspirateur. Toutes les contre-utopies connues reposent plus ou moins consciemment sur son modèle.

Alors, oui, quand on le lit, on croit voir se dessiner devant nos yeux la trame de 1984, on croit percevoir une accumulation de clichés sur le sujet. Sauf qu'en tant que pionnier, il est le générateur de ces topoi, ses thèmes sont devenus lieux communs à force d'être réutilisés.

En guise de biographie, il est intéressant de savoir qu'Eugène Z. est russe, sous Staline. Il se rallie dans un premier temps à la révolution d'Octobre pour rapidement prendre ses distances avec le régime communiste et son esthétique officielle (le réalisme social). Sa vison des choses est, elle, révolutionaire : il faut constamment expérimenter en littérature, et toujours remettre en cause. Etrangement, ca ne plait pas trop au régime. Grand maître du culot, Zamiatine parvient néanmoins à obtenir l'exil auprès de ... Staline lui-même.

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Nous autres (My, en russe) date donc de 1920. Et il est difficile de ne pas saisir qu'il s'agit d'une satire de la société soviétique. Zamiatine s'en prend à la rationnalisation de la vie humaine. Le fait de dénoncer le système communiste n'empêche pas de dénoncer en même temps le système capitaliste.

Je tarde à en venir à l'histoire à proprement parler, non ? Eh bien la voilà. Le personnage principal, D503 (nombre = effacement de l'identité : contre utopie, thème n°1) est un mathématicien, endoctriné et formaté. En tant que partie d'un tout, sa mission consiste à construire un vaisseau, l'Intégral, qui, une fois envoyé devra soumettre les habitants de planètes inconnues au bonheur version Etat unique, et ceci par le Verbe.

[Au coeur de l'oeuvre, en effet, réside l'idée du bonheur obligatoire. La référence, ici, n'est autre que Dostoïevski et sa "Légende du grand inquisiteur" dans Les Frères Karamasov. En quelques mots : le Christ arrive sur Terre, à Séville, et effectue une pléthore de miracles. Le grand inquisiteur le somme d'arrêter, il est jeté en prison. S'ensuit un dialogue de justification. C'est trop tard. JC est parti et a demandé aux hommes de croire, or un tel choix est inhumain, impossible. Durant ce laps de temps, l'Inquisiteur les a donc débarassé de ce choix : les hommes sont heureux une fois privés de liberté. Le débat est né : faut-il donner la liberté aux hommes, ou non ?] Le Bienfaiteur, au centre de tout le système, s'affirme comme avatar de ce grand inquisiteur.

D503, donc, nous livre son "journal intime". Entre guillemets, oui, dans le mesure où il s'agit plus précisément de notes, au caractère officiel, accessoire, et par conséquent peu intime. Toute sa vie nous est confiée (paradoxal lorsqu'on prétend n'avoir cas que de la collectivité), et une description de son monde en émane. Propagande, enthousiasme, exalatation, rien de bien palpitant jusque là. Bien plus intéressantes sont les contradictions qu'on discerne dans le personnage. D503, en effet, se révèle peu à peu un dissident, suite à sa rencontre avec I ("racine de -1" en maths, élément perturbateur pas excellence, tant sa conception est ardue, genânte). L'autre monde, de l'autre coté du Mur Vert n'est pas nécessairement méprisable. La naissance de l'amour chez D le pousse à considérer autrement les choses, et plus important encore à déroger à son obéissance absolue. Pourtant, son mode de pensée reste profondément alterré. Se cotoient l'incrédulité face à une remise en question progressive et le langage propre à l'endoctrinement. Langage mathématique, et preuve d'une pensée avortée.

Le style est par conséquent déroutant. Les points de suspention se succèdent et s'accumulent devant l'incompris, voire l'inenvisagé/able. A tel point que certains détails nous échappent, la fin notamment. Il nous arrive de nous sentir stupides tant il est difficile de voir où D veut en venir. Seul bémol, donc, à un livre de qualité, plus pour sa construction, ses thèmes innovateurs et son suspense que pour son écriture.

Avides de contre-utopies, ce livre est pour vous.

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Commentaires
C
Merci beaucoup, tu n'imagines pas (peut-être que si, en fait hé hé) combien de tels commentaires font plaisir. Je vais donc, de mon côté tâcher de respecter une certaine régularité (wuuu) :)
L
Je (re)découvre ta plume par l'intermédiaire de ton blog et c'est une très jolie surprise. Je crois que je vais souvent venir y faire un brin de lecture. Continue, c'est super!
C
Ca y est, no more "sont".<br /> Merci ! (pour tout)
C
Arf c'est trop bien de te lire, je sans que je vais prendre ton blog comme revue littéraire quand j'en aurais marre de faire de l'histoire (c'est à dire bientôt !<br /> J'ai juste vu une petite faute : "sont journal intime"<br /> Voilou !<br /> <3
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