Nice, cimetière du château.
Face à la mer, à deux pas de la tombe de Léon Gambetta, sommeille Emil Jellinek. Emil Jellinek-Mercedes. Consul d'Autriche Hongrie à Nice, amateur d'automobile, il donne le nom de sa fille en 1900 au bolide qu'il vient de commander à la firme Daimler. Un nom ineffaçable, aujourd'hui connu de tous. Mercedes.

Philippe Jellinek-Mercedes, dernier du nom, a accepté de parler de son histoire. De sa lignée.

Quel rôle votre arrière grand-père, Emil Jellinek, a-t-il joué dans l'histoire de la firme Mercedes ?

Emil était un personnage important pour la firme, mais on en est venus à l'oublier. C'est sous son impulsion que les voitures de Daimler ont évolué. Il n'était pas ingénieur, simplement un amateur éclairé. Un amateur au sens de l'observation développé. Il a commandé des voitures plus basses et plus larges, des voitures qui tiennent mieux la route en somme. Ces dernières ont remporté un franc succès dans les courses, notamment la course de côtes de la Turbie. Les automobilistes étaient gonflés à l'époque. Il n'y avait pas d'airbags, ils s'écrasaient comme des crêpes, explosés. Alors oui, il a contribué à une réelle amélioration de l'automobile.

Quel regard portez-vous sur l'histoire de votre famille ?

L'histoire de Mercedes remonte au début du siècle. Enfant, cela me paraissait très lointain, et l'importance de cette histoire, je ne la percevais pas. A cet âge-là, on n'est pas vraiment attirés par le passé. Ce n'est donc que très tard que je m'y suis penché : n'ayant pas d'enfants, j'ai pris conscience du fait que j'étais le dernier représentant de la famille. Alors je me suis mis à y repenser. C'est une belle aventure humaine et mécanique, en dépit des tragédies qui ont suivi. Beaucoup de choses se sont passées. En cause, la guerre mondiale et ses drames. Mon arrière grand-père a été accusé d'espionnage pour les Nazis. Mais il était Autrichien, avait trois enfants français. Il a abandonné ses parts dans la compagnie, et a dû s'exiler. Il est mort en exil. On ne pardonnait pas à l'époque. De tout cela, mon père n'en parlait pas. Ma famille a voulu faire un procès, mais n'avait pas assez d'argent pour cela. En fait, il y a deux parties dans cette histoire. La partie glorieuse, celle dont on peut être fier, et celle de la "déchéance". La spoliation.

Le nom de Mercedes est aujourd'hui accolé à celui de Jellinek. Pourquoi ce choix ?

Deux choix se sont présentés à mon arrière grand-père dans son heure de gloire. Il pouvait soit devenir baron, soit récupérer le nom Mercedes. Cela s'est fait par décret impérial. " C'est bien la première fois qu'un père tient son nom de sa fille", disait-il. Donner le nom de sa fille à une voiture auréolée de victoire, c'était bien évidemment une grande preuve d'amour. Au vu du succès des automobiles Mercedes, porter ce nom est par ailleurs une réelle marque de prestige. Quant à moi, je suis fier d'avoir ce patronyme. D'autant plus que je suis le dernier à m'appeler ainsi. Et tout ce qui est rare est cher (rire). Cela me permet d'ailleurs de porter l'un de mes derniers prénoms. Une vieille tante avait eu cette étrange idée de nous en donner quatre ou cinq dans la famille.
"Jellinek" ne parle qu'aux amateurs de voiture. Les autres s'en fichent. D'autres encore connaissent plus ou moins la réalité, pensent par exemple que Mercedes était la fille de Daimler, ou même de Benz.

Et la réalité, quelle est-elle ?

Il y a toujours deux versions aux histoires. Celle de la famille, et celle des autres. On disait beaucoup de choses fausses aux journalistes à l'époque. Ainsi, on raconte souvent que Daimler voulait remercier mon arrière grand-père, Emil, pour ses loyaux services. Il lui aurait ainsi proposé de trouver un nom à sa nouvelle automobile. Mais il n'y a pas de traces d'une telle version dans le journal de mon grand-père, écrivain. Ce n'est sûrement pas Daimler qui lui a demandé. Emil n'était pas quelqu'un à qui l'on demandait. C'était quelqu'un qui demandait. Il était très dur en affaire, avait un sacré caractère. C'est bien lui qui cherchait à nommer sa nouvelle voiture, une Daimler qu'il avait commandée à Stuttgart. Mercedes était le nom de sa fille, mais aussi un nom à la prononciation similaire dans toutes les langues. En choisissant cette dénomination, Emil voulait marquer, et insister sur l'aspect universel. L'étoile à trois branches ne s'est imposée que bien après.

N'avez-vous pas envisagé faire carrière dans l'automobile ?

Je ne me suis jamais posé la question. C'est un choix assumé : je ne me suis pas orienté vers cela. Mon père avait suivi exactement la même démarche. Mon métier, c'est d'être ordonnateur ; je mène une vie normale.
Mon ancêtre était doué pour la technique, il était presque plus progressiste que moi.

(propos recueillis dans le cadre d'un exercice sur le thème de la voiture)

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