Dans le quartier de Montmartre, la place du Tertre fait figure de village. Village pour touristes, ou village de peintres ?

La place du Tertre, on l’atteint au terme d'une ascension. C'est un lieu qui se mérite, comme le suppose un panneau à l'arrivée : "Rue du Calvaire".
Lunettes de soleil et appareil photo en collier, les touristes essoufflés l'ont bien compris. Un peu trop tard peut-être. La raison d'un tel chemin de croix ? L'irrésistible envie de voir la place la plus représentative du village parisien par excellence. Montmartre. Qu'il s'agisse d'un village réel ou illusoire, c'est ainsi que le syndicat d'initiative vend son territoire. Car la place du Tertre est historique. Convivialité et intimisme, tels sont les fondements de son identité. Entre « Le petit comptoir », « La mère Catherine », ou encore « Chez Eugène », les restaurants jouent ainsi la carte de la sphère familiale. Comme à la maison. Comme avant. L'objectif : figer le temps. Coller aux attentes des touristes étrangers. A l'image de Patricia, argentine. « C'est super ici. Très pittoresque. Pour moi, c'est un reflet de Paris. C'est comme si on remontait dans le temps. Je suis venue ici il y a douze ans, et cela n'a pas changé par rapport à mes souvenirs. »

Le royaume des peintres

Sur la place du Tertre, les artistes sont rois.
Sini est finlandaise. Elle vend ses tableaux depuis quarante ans place du Tertre. N'a jamais souhaité opérer une migration. Sa spécialité, c'est l'art naïf. Mais elle avoue avoir évolué au fil du temps, raison médicale oblige. « Quand vous ne voyez plus rien, c'est difficile de peindre des détails. » sourit-elle, les lunettes sur le bout du nez. Elle présente son voisin de chevalet comme le « vétéran » de la place du Tertre. Georges enseignait la gravure sur bois aux beaux arts. Il est le premier artiste à avoir été autorisé sur la place, en 1967. Avec lui, on imaginera volontiers l'anarchie des débuts. « On se faisait sa place au soleil, malgré les armoires à glace. Il n'y avait pas encore de places numérotées. Le mec venait et nous disait « dégage ». Moi, je ne me suis jamais bagarré : un seul coup, c'était suffisant ! » Il raconte combien, jusqu'en 1983, les terrasses des cafés étaient leurs pires ennemies. A empiéter allégrement sur l'espace octroyé aux artistes.

« Les artistes viennent pour vendre »

Au resto « La crémaillère », Hemingway prend un café. Voix rauque, barbe blanche, béret. En vrai, il s'appelle Joan Mas. Catalan d'origine, il fait du post-impressionnisme sur la place depuis cinquante ans. Mais l'été seulement. « En hiver, il fait trop froid. Et il n'y a pas de clients. J'aime autant travailler dans mon atelier. » Joan déplore un certain discrédit à l'égard des artistes de la place. « Les journalistes disent toujours du mal des peintres. Ils sont bons, pourtant, mais on ne le voit pas parce qu'ils viennent pour vendre. Du coup, ils ont mauvaise réputation. Nous on se voit tous les jours, on se connaît bien. Nous cultivons un esprit de village.»
Joan admet avoir deux styles picturaux. Celui qui lui plait, et celui qui plait à autrui. Deux styles radicalement différents.
Cette double identité, incomprise, suscite maintes critiques. « Le côté artistique de la place ne me touche absolument pas, déclare solennellement Caroline, nouvelle parisienne. Ce sont des attrape-touristes. Je n'aime pas cet endroit. Mais c'est un incontournable. J'irai donc ici chaque fois que quelqu'un viendra me voir. » Ce quelqu'un, ce peut être Noémie, une amie à elle débarquée de Saint Etienne. Elle trouve la place jolie, lui reproche malgré tout son côté étriqué. « Il y a trop de monde, on a l'impression d'être enfermé. »

« Une usine à bouffe »

Rares sont les riverains que l'on croise sur le sol pavé. Pourtant, il y a Sophie. Sac Vuitton et lunettes Chanel. Air exaspéré. Née sur la place, elle la trouve épouvantable. « C'est une zone de non-droit, un espace non réglementé. Des musiciens jouent toute la nuit, c'est insupportable. Tout est tourné vers le tourisme, les vrais Parisiens ne viennent pas ici. C'est devenu une usine à bouffe. » Sophie s'est plainte à la mairie. Réponse apportée : « Montmartre ne vous appartient pas, c'est un village mondial. » C'est dit. Pas étonnant que la langue française soit sous-représentée.
Venues de Lausanne, Marianne et Françoise ne sont pas plus convaincues. « Nous sommes très déçues. C'était tellement plus beau en 1968 avec les tréteaux et les peintres à palettes. Comme en 1900. Maintenant, on ne voit plus la place, on ne voit que les toiles de tente. Le lieu a perdu toute son authenticité. C'est moche. »

(Papier réalisé dans le cadre d'un exercice. L'information de proximité à Paris.)

Place du Tertre : "C'est moche".

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