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Des mots niak'
10 décembre 2010

La Fête au Bouc (La Fiesta del chivo)

Prix Nobel de la littérature 2010, Vargas Llosa est à l'honneur. Satisfaction.

On évoque actuellement son hommage à Flaubert, et la déclaration faite à sa femme -trémolo dans la voix. Pourquoi ne pas profiter de cette aura retrouvée pour se pencher sur une de ses oeuvres phares, La fiesta del Chivo ? L'oeuvre chérie des profs d'espagnol. Et c'est tout, sauf un livre de plage.

(enfin, façon de parler)

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Âmes sensibles, s'abstenir. Pour les autres : à ne pas manquer. 

Comme le sous-entend la récompense obtenue, délivrée chaque année à un auteur doté d"un "puissant idéal", l'Oeuvre de Vargas Llosa s'ancre dans le politique. Ici, il est question de la dictature de Trujillo en République dominicaine.

Vous pouvez d'ores et déjà concevoir la gravité de l'ambiance.

Le contexte d'écriture mérite d'être mis en lumière. Vargas Llosa ne s'insère pas à proprement parler dans un mouvement, ni dans un genre littéraire, mais dans ce que l'on a appelé "el ciclo de las dictaduras". Nous sommes à une époque où l'Amérique du sud baigne dans le sang, les turpitudes et la dictature. Bon nombre de grands écrivains, Valle Inclan, Carpentier, Roa Bastos, Garcia Marquez, et plus tard Vargas Losa éprouvent le besoin (et l'envie) de faire une pause dans leur Oeuvre pour traiter de cette situation qui les affecte. [notamment du point de vue littéraire, quoi de plus riche qu'un personnage historique] On retient plusieurs points communs dans les diverses oeuvres générées. 1) L'auteur fait s'exprimer le dictateur en question. 2) Il focalise sur sa solitude. 3) Il s'intéresse aux effets de telles dictatures sur les masses. 4) Il fait preuve de virtuosité narrative : le récit n'est pas facile d'accès.

La Fête au Bouc suppose une lecture active. Il s'agit en quelques sorte d'un "livre chorale". Trois trames narratives sont traitées en parallèle, se croisent, se réunissent parfois. L'auteur suscite de cette manière l'attente du lecteur, fait appel à sa participation pour reconstruire l’édifice.

Il y a tout d'abord Urania, personnage fictif inséré dans un monde réel. Avocate new yorkaise de retour dans sa ville d'enfance, Saint-Domingue. Le mystère plane, pourquoi revenir après tant d'années ? Quelles questions peut-elle vouloir poser à son père mourant ? Pourquoi ne semble-t-elle dégager qu'émotion et amertume ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi. Toutes les réponses semblent se cristalliser autour de l'étrange relation qu'Urania entretient avec son père. Agustin Cabral, sénateur et proche de Trujillo, avide de retrouver la confiance perdue de ce dernier. Mémoire et traumatisme.

Il y a ensuite Trujillo lui-même, peu à peu désavoué. Le mal-être le hante, le sadisme et la misogynie l'habitent. Les images, les détails, l'hyper-réalisme sont efficaces, peut-être trop. L'aspect sexuel comme paradigme de son pouvoir, l'impuissance comme symbole du déclin. Autour de lui, des foules aseptisées, perverties, une bassesse ambiante. Solitude, décadence et atrocité.

Et enfin, il y a quatre conjurés, quatre hommes au passé et aux motifs différents qui veulent la mort du dictateur. Ils y parviendront, en 61, mais à quel prix ?

Des tripes, il en faut pour lire La Fête au Bouc, tant rien ne sera mis sous silence, rien.

Il est d’autant plus surprenant qu'il ne s'agit pas d'une dénonciation claire, Vargas Llosa n'est pas particulièrement engagé, dans la mesure où l'aspect littéraire prévaut. L'Histoire n'est pas une fin en soi, aussi vraisemblable soit-elle, elle n'est que matière à écrire. Même sort pour le politique.

En dépit de cela, on retiendra que pour le jury, il est une figure de "la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec". Oui.


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